Neurodyssée
Le cas Phineas Gage
Une barre de fer à travers le crâne et la sociopathie acquise 👺
Le cas clinique de Phineas Gage est un
cas clinique incontournable qui a considérablement contribué à la recherche
en neuropsychologie et en neurosciences.
L’accident
Les événements se déroulent durant l'été 1848 en Nouvelle-Angleterre. Phineas Gage était un contremaître américain de 25 ans à la tête d'une équipe nombreuse d'ouvriers qu'il supervisait lors de la construction de lignes de chemins de fer afin d'étendre les voies ferrées du Vermont. La décision a été prise d'utiliser de la dynamite afin de se frayer un chemin plus rectiligne à travers la roche particulièrement dure. Faire sauter des mines demande une rigueur et une concentration importantes puisqu'elles requièrent d'être préparées selon une suite précise d'étapes. Durant un après-midi d'été particulièrement chaud, Gage prépare une mine avec l'aide d'un ouvrier. Ce dernier a pour rôle d'ajouter une couche de sable nécessaire à la bonne destruction de la roche par la mine, tandis que Gage doit finir par la tasser avec une barre de fer. Néanmoins, distrait pendant seulement un instant, Gage ne remarque pas que son collègue n'a pas encore ajouté le sable et commence à bourrer non pas le sable, mais la poudre à canon qui se trouve en dessous.
Ce coup met instantanément feu à la charge explosive et la mine saute à la figure de Phineas. La détonation est d'une brutalité considérable et propulse la barre de fer d'un mètre de long et de 6 kilogrammes de poids à travers le crâne du contremaître. Elle lui perforera la base du crâne en rentrant par la joue gauche et traversera l'avant gauche de son cerveau avant de ressortir à toute vitesse par le dessus de sa tête. Malgré la violence de l'accident et la gravité de ses blessures, Phineas Gage survécut miraculeusement.
Néanmoins, par la suite, les changements drastiques dans le comportement et la personnalité de Phineas sont venus assombrir le tableau de sa guérison extraordinaire. En effet, le contremaître était précédemment connu comme un homme sérieux et modéré, respectueux et fiable, ainsi qu'équilibré et adapté socialement. Il était considéré et respecté par ses employeurs et ouvriers, on lui reconnaissait volontiers ses qualités de persévérance dans l'exécution de ses plans d'action et ses compétences en prise de décision.
Cette personnalité changea drastiquement à la suite de son accident, à tel point que ses proches déclarèrent que "Gage n'était plus Gage".
En effet, Phineas devint rapidement un homme grossier et injurieux, irrespectueux envers ses amis et inconsistant. Particulièrement capricieux, il ne supportait pas les conseils des autres ni les contraintes venant entraver sa volonté. De même, son caractère mesuré et réfléchi se transforma en une impulsivité importante qui le poussait à formuler quantités de projets qu'il abandonnait aussitôt.
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Ce revirement de personnalité causé par sa lésion cérébrale entrait en discordance avec la préservation de nombreuses facultés mentales telles que la perception, la mémoire, le langage ou le raisonnement.
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Le cas Phineas Gage a eu un impact important en neuro-psychologie en démontrant qu'il était possible de perdre des facultés telles que le respect des règles morales et des conventions sociales, malgré des facultés intellectuelles intactes, comme si elles s'avéraient en être dissociées. En effet, il restait difficile d'envisager à l'époque que des capacités propres à l'homme comme le sentiment de responsabilité envers soi et autrui ou bien l'éthique puissent dépendre de zones spécifiques et précises du cerveau.
De nos jours, les techniques de neuroimagerie modernes ont permis de reconstituer la blessure de Gage. En considérant le tableau de symptômes et la localisation de la lésion cérébrale, il souffrait de ce que l'on nomme aujourd'hui un syndrome frontal.
Le lobe frontal
Anatomiquement, le lobe frontal est le plus grand des lobes cérébraux, il constitue plus d'un tiers du cortex cérébral humain et se situe dans la moitié supérieure avant de notre cerveau. Il se décompose en trois régions : le cortex moteur primaire, le cortex moteur supplémentaire & cortex prémoteur ainsi que le cortex préfrontal.
Le cortex préfrontal se trouve dans la partie la plus antérieure du lobe frontal et s'avère particulièrement volumineux et développé chez l'être humain en comparaison avec les autres primates.
Cette région est impliquée dans de nombreuses fonctions cognitives dites "supérieures" :
• Régulation émotionnelle.
• Empathie.
• Capacité d’adaptation.
• Prise de décision.
• Résolution de problèmes.
• Contrôle des implosions.
Le cortex préfrontal peut encore être subdivisé en plusieurs régions, deux nous intéressent ici. Les recherches en neurosciences et neuro-psychologie ont mis en évidence que les régions ventromédiane et orbitofrontale jouent un rôle dans la personnalité, les comportements socio-moraux et dans la prise de décision.
Pour revenir à Phineas Gage, ce dernier souffrait d'une lésion localisée dans le lobe frontal gauche, touchant le cortex préfrontal dans ses parties ventromédiane et orbitofrontale. De plus, les fibres nerveuses de la matière blanche sous-jacente au cortex ont été détruites, notamment les faisceaux de fibres reliant les régions préfrontales avec des régions du système limbique dans le lobe temporal, régions majeurs dans les réactions émotionnelles comme la peur ou le plaisir et dans l’élaboration des comportements.
La sociopathie acquise
De plus, il s'avère qu'une lésion touchant ces zones préfrontales se traduit par un tableau de symptômes que certains chercheurs ont renommé "sociopathie acquise".
Elle se caractérise par des traits tels que l'irresponsabilité, l'impulsivité, le manque d'empathie et la faible tolérance à la frustration. Elle s'accompagne également de comportements antisociaux et d'une altération des processus de prise de décision et de planification de l'action dans le temps. Ce tableau clinique se retrouve trait pour trait dans le comportement de Phineas après son accident.
Le cas de Gage a également contribué à comprendre les symptômes de patients atteints de tumeurs, d'AVC ou de traumatismes crâniens ayant touché ces zones. Ceci vaut également pour des maladies neurodégénératives telles que la dégénérescence fronto-temporale ou la maladie d'Alzheimer, qui présentent une destruction progressive de ces régions corticales ainsi que des symptômes comportementaux associés.
La suite de la chasse au trésor...
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